Le retour d'une loi de 1960.
Décryptage de la loi Duplomb, intérêts et dangers, de 1960 à de nos jours
L'ACTUALITÉ ET NOTRE AVENIR
Dya
7/20/20259 min read
En 2024, les agriculteurs crient leur désespoir, le gouvernement propose un retour au modèle agricole des années 60. Un modèle qui a détruit 2 fermes sur 3.
Une loi née de la guerre, pour nourrir la nation
Appelée également loi d’orientation agricole Duplomb adoptée en 1960 sous l’impulsion du ministre de l'agriculture Roger Duplomb, c’est une loi très importante dans l'histoire agricole de France.
Après la guerre, la France avait une agriculture très morcelée, peu productive, avec de nombreuses petites exploitations familiales peu mécanisées. La modernisation de l'agriculture permettrait d’augmenter la productivité, permettre à la France de devenir plus autosuffisante et soutenir la compétitivité face aux marchés internationaux.
La loi a posé les bases d’une agriculture plus professionnelle : elle a incité à la formation agricole (structures d’enseignement), promu l’accès au statut de chef d’exploitation professionnel et favoriser les exploitations viables économiquement.
Elle a soutenu la création de groupements agricoles, de coopératives, de centres de gestion, d’organismes d’encadrement technique,
En 1962, cette loi a permis de préparer l'agriculture française à la transformation européenne en posant un cadre national solide.
Elle a aussi introduit des instruments fonciers et juridiques afin de favoriser le remembrement (regroupage des parcelles pour les rendre plus exploitables), encourager la transmission des terres à des exploitants “prof”, et soutenir les exploitations “modernes” au détriment de celles jugées “archaïques”
En 1960 la loi Duplomb est un acte fondateur de l’agriculture productiviste française :
Des crédits bonifiés aux gros exploitants
L’encouragement des engrais chimiques
La spécialisation des territoires
Et une notion : “ produire plus pour nourrir la nation”
En surface cette loi a “fait de la France une puissance agricole”, et par principe, c’est intéressant, cependant, les petits paysans sont exclus de ce modèle…
Car elle a accéléré la disparition des petites exploitations françaises (parfois tenues en héritage), elle a renforcé une agriculture intensive productiviste au détriment de l’environnement et du lien au territoire, elle a posé les bases de certaines difficultés actuelles comme la standardisation, la dépendance aux intrants…
L’Europe et ses modèles
L’Europe n’a pas directement commenté la loi Duplomb de 1960, car elle précède la Politique Agricole Commune ‘PAC) mis en place en 1962. Il fallait harmoniser les pratiques pour créer une politique commune, la loi Duplomb a anticipé les exigences européennes (la modernisation, l’augmentation de la production, structuration professionnelle…).
Dans les années 1990 et 2000, l’UE change de cap sur plusieurs points :
Elle a un objectif de durabilité, l’UE critique aujourd’hui le productivisme hérité des années 60 car il génère la pollution des sols, la perte de biodiversité, un épuisement des ressources, la dépendance aux intrants chimiques et nui gravement à la santé publique.
Elle promeut donc désormais la diversification des cultures, les circuits courts, l’agriculture biologique, ce qui va à l’encontre du modèle Duplomb privilégiant la taille, la rationalisation et l’optimisation industrielle.
Entre 2023 et 2027, UE propose moins de subventions à ceux qui polluent, plus d’aides à ceux qui préservent les sols, l’eau et la biodiversité et une approche intégrée : économie/écologie/alimentation/climat
C’est l’esprit du Green Deal européen qui marque une rupture avec la philosophie de loi Duplomb des années 60.
Mais l’UE ne propose pas qu’un seul modèle, elle évolue vers plus de diversité (certes lentement) , le Green Deal, les éco régimes, la PAC vont vers moins d’aides pour ceux qui polluent, plus d’aides pour ceux qui protègent, soutien à l’installation des jeunes agriculteurs et valorise les circuits courts des territoires.
Les conséquences sociales, écologiques et sanitaires.
Les exploitants ayant une taille suffisante pour investir, ceux qui peuvent acheter le matériel moderne nécessaire, ceux qui acceptaient de se conformer au modèle productiviste et considérées comme pro (donc capables de dégager un revenu principal)
Et pénalise alors les petites fermes familiales peu mécanisées, les paysans âgés sans formation technique, ni volonté de modernisation, ceux qui vivaient d’une agriculture de subsistance ou mixte et les exploitations marginalisées en zones peu rentables ou morcelées. Des paysans ont dû vendre leurs terres familiales, rachetées par des exploitants plus gros, les plus gros ont reçu d’avantages d’aides car elles étaient conditionnées à la productivité.
Entre 1960 et 2000, on constate une perte de 75% des exploitations, un endettement massif des exploitants, la pollution des nappes et l’effondrement de la biodiversité, la santé des agriculteurs est mise en péril, et le réchauffement climatique est accentué par cette agriculture industrielle
Des syndicats paysans comme la Confédération paysanne critiquent encore cette loi comme acte fondateur du modèle agricole inégalitaire et certains la comparent à une “épuration agricole douce”
“Est-ce donc mieux que les petits paysans quittent l'agriculture ?”
Cela dépend malheureusement du point de vue :
D’un point de vue économique et productivité comme le suggère la loi Duplomb, c’est mieux car :
Les petites exploitations sont souvent moins rentables,
Elles ont moins accès aux aides, au matériel, aux débouchés commerciaux
Elles freinent la concentration des terres et l’industrialisation du secteur
On peut produire plus avec moins de main d'œuvre grâce aux machines ou à la chimie.
C’est cette logique qui a justifié dans les années 60 la disparition de centaines de milliers d’exploitations familiales.
Dans un point de vue territorial, social et écologique, c’est grave car :
Les petits paysans assurent une occupation du territoire limitant l’exode rural et font vivre les campagnes
Ils entretiennent souvent la diversité des paysages, des cultures et semences locales,
Ils ont une relation de proximité avec les consommateurs grâce aux marchés, AMAP et circuits courts
Leur modèle peut être moins dépendant des intrants chimiques, plus résilient face aux crises et plus écologique.
En France, entre 1955 et 2020 c’est 2 exploitations sur 3 qui ont disparu,
L’agriculture moderne souffre aujourd'hui de surendettement, de crise de vocations (suicides, burn out) pollution des eaux et sols et la perte de biodiversité. Ce qui relance donc l’intérêt pour les petits modèles agricoles, agro écologiques locaux, et diversifiés.
“Mais toute l’Europe utilise ces méthodes, pourquoi pas nous ?”
L’uniformisation des pratiques agricoles européennes est une réalité, depuis la création de la PAC en 62, les Etats ont été poussés à produire plus pour nourrir l’UE et exporter, s’aligner les mêmes standard techniques (produits phytosanitaires, races animales, rendements…) accepter une mise en concurrence entre agriculteurs européens. Donc si la France veut “tenir le rang”, elle doit jouer avec les mêmes règles.
On est un géant agricole européen, 1er puissance agricole de L' UE en valeur, 2 ème exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires après les Etats Unis, et 3° utilisateur européen de pesticides. C’est un poids économique qui repose en partie sur les pratiques productives issues de la loi Duplomb
Mais ce modèle est à bout de souffle, un moyenne un agriculteur se suicide tous les deux jours en France, les revenus agricoles sont souvent faibles, inégaux et dépendants des aides PAC, les jeunes ne veulent plus s’installer dans ce modèle,, les sols sont épuisés, la biodiversité agricole en chute libre, les paysans ne contrôlent plus leur prix, ni leur distribution, l’agriculture devient détenue par l’agro industrie et les multinationales et l’indépendance alimentaire est menacée par la logique de marché mondial.
La France doit rester compétitive, mais cela ne signifie pas obligatoirement de continuer dans le modèle productiviste à l’identique, la vraie indépendance agricole ce n’est pas seulement de produire beaucoup, mais aussi de maîtriser ses ressources, protéger ses écosystèmes, garder le contrôle sur la chaîne alimentaire et assurer un revenu digne aux agriculteurs. Cela suppose un changement de modèle plus résilient et équitable.
Dans les 1990 à 2000 il y a donc les premières alertes scientifiques et citoyenne vis à vis de cette loi, la montée des critiques du modèle productiviste (Confédération paysanne, José Bové…), et l’émergence de l’agriculture bio, circuits courts et agroécologie afin de proposer une alternative intelligente et sur un modèle systémique.
Pourquoi le retour de cette loi ?
La loi a été remplacée :
Par une politique de “double performance” en alliant économie et écologie
Développement du bio et les aides à l’agroécologie
La PAC
Le droit européen avec l’interdiction progressive de certains produits comme les néonicotinoïdes
Cependant, ces virages sont faibles face à la logique dominante :
L’agriculture industrielle continue à capter l'essentiel des aides,
Les lobbies agrochimiques restent très puissants à Bruxelles et Paris
Aujourd’hui on revient sur cette loi à cause de plusieurs sujets :
Notamment la crise agricole, l’Etat veut proposer une réponse simplifiée, allégée pour soutenir ce secteur.
Il y a aussi une réponse à la pression des syndicats productivistes (FNSEA)
Et le besoin de compétitivité dans un marché mondialisé dans lequel les produits non français sont privilégiés à l’achat.
La loi Duplomb revient sous un format “Déguisée” en levant les restrictions sur des pesticides, en allégeant des contraintes environnementales.
C’est principalement une loi qui va peut-être sauver quelques exploitants à court terme, mais elle sacrifiera tout le reste:
Les petits paysans qui seront exclus de la course à l’investissement
La santé publique est mise en péril par le retour des molécules toxiques,
Le recul sur les zones humides, les haies et pollutions de l’eau,
Les subventions orientées vers les plus gros
Un retour à la forte dépendance aux intrants chimiques, au pétrole….
Ce que cette loi va provoquer
Malgré les apparences, on connaitra une perte d’autonomie au profit de gros industriels qui détruiront la présence des petits producteurs français, en suivra la perte de la confiance des consommateurs car les méthodes de production seront décevantes, des crises environnementales locales plus aggravées par la présence de pesticide dans l’air que l’on respire, l’eau dans laquelle on se baigne…
D’autres modèles agricoles existent.
Face à ce modèle productiviste issu de la loi, des milliers de paysans et de chercheur-se-s ont expérimenté d’autres manières de nourrir la population tout en respectant le vivant.
L’Agroécologie : c’est une approche globale de l’agriculture qui s’appuie sur les équilibres naturels (la biodiversité, les cycles de l’eau, les interactions entre espèces et savoir-faire)
Cette méthode suppose la suppression ou forte réduction des intrants chimiques, la rotation et diversification des cultures afin de maintenir le sol en bonne santé pour produire, la valorisation des haies, mares, l’autonomie en semences, eau et fertilisants.
Permettant une meilleure résilience au climat, moins de pollution, une santé préservée des agriculteurs et consommateurs, et une économie locale plus vivante.
Exemples :
Réseau CIVAM, fermes d’avenir, Terre et Humanisme
Institut National de Recherche pour L'agriculture produit des travaux sur l’agroécologie depuis 2010
L’agriculture biologique : c’est un modèle réglementé (Label AB ou EU Organic) interdisant l’usage de pesticides de synthèse, OGM et engrais chimiques,
Ce modèle permet de respecter les cycles naturels, une meilleure qualité sanitaire des aliments, des primes européennes spécifiques (PAC), et un fort soutien citoyen et politique
Il est moins productif à l'hectare mais souvent plus rentable économiquement.
La permaculture : cette méthode est inspirée de la nature qui vise à concevoir des systèmes agricoles énergétiques et sociaux durables et autonomes.
Elle repose sur l’éthique, le design (penser les cultures comme un écosystème cohérent et interconnecté) et souvent utilisée dans des petites exploitations vivrières
Exemples :
Fermes Permacoles
Réseaux internationaux (Permaculture Research Institute)
L’agriculture paysanne : portée par le Confédération paysanne, elle repose sur la relocalisation, les respect des savoirs traditionnels, et la souveraineté alimentaire
Ce qui permet de maintenir des petites fermes viables, répartir équitablement les terres et les aides, et assurer les revenus décents et une alimentation saine pour tous.
Les circuits courts, AMAP et régies agricoles locales, sont des modèles réduisant les intermédiaires, favorisant la vente directe, les marchés, les cantines locales.
Ce sont des débouchés essentiels pour les petites exploitations durables, ils permettent aux citoyens de reprendre du pouvoir sur leur alimentation
En légume bio ou local coûte plus cher à l'unité qu’un légume conventionnel industriel, car il y a moins de rendement, plus de main-d’œuvre, moins d’économies d’échelles (petits volumes), et le respect des normes et certifications qui coûtent plus cher.
Donc à produit égal, le prix peut être entre 20 à 50% plus élevé.
Pourtant, le coût global pour le consommateur n’est pas forcément plus élevé
Une alimentation durable en favorisant le végétal à la viande permet de rééquilibrer le surcoût des produits bio ou locaux.
En circuits courts, on respecte plus le produit,
La malbouffe industrielle génère des coûts indirects énormes comme les maladies chroniques (obésité, diabète, cancers), la pollution de l’eau (traitée par nos impôts) et les subventions agricoles injustes.
Les modèles industriels cassent les prix à la caisse, mais font exploser les coûts ailleurs.
Il existe quand même 6 façons concrètes de soutenir l’agriculture durable sans exploser son budget.
Militer pour des politiques alimentaires publiques : appeler à des cantines 100% locales et bio dans les écoles, hôpitaux, EHPAD…, demander que les aides publiques (PAC, collectivités) aillent aux paysans durables
A Mouans-Sartoux, la ville a prouvé qu’on peut servir du bio local dans les cantines au même prix qu’avant, simplement en cuisinant différemment.
Participer à une AMAP ou une coopérative solidaire : des paniers à prix adaptés au revenu sont proposés, d’autres offrent des prix solidaires
Soutenir par la voix en partager les produits, fermes et projets en ligne, expliquer autour de soi les raisons du prix, participer à des campagnes citoyennes
S’engager dans des jardins partagés/fermes urbaines, ou en créer avec sa ville.
Remplacer les plats ultra-transformés répétitif par des produits bruts locaux (économie et soutient)
Revendiquer une vraie justice alimentaire : plaider pour un “chèque alimentaire durable” réservé aux produits bio, locaux ou en circuits courts, ou encore soutenir les coopératives de consommateurs à prix bas.
Pour conclure, il ne s’agit pas d’opposer “anciens” et “modernes”, il s’agit de choisir entre un modèle agricole suicidaire (pour la planète, les paysans et nous) et un modèle vivant, durable sur le long terme, local et c’est déjà en marche, c’est à nous de le soutenir, en achetant, en se mobilisant en signant les pétitions relatives
